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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 15:36

Résumé :

Cet article à pour objectif de présenter des éléments pouvant être considérés comme des bases de l’élaboration du domaine de connaissance de la géoéconomie. Cette démarche repose sur une approche ancrée au cœur de l’humanisme contemporain et des épistémologies constructivistes et génétiques. Ce positionnement inscrit l’action de cartographier pour le contrôle des espaces terrestres, la volonté de compiler tous les savoirs disponibles sur les territoires et celle de maîtriser les contraintes des espaces comme des démarches sources des prémices de la géoéconomie, sans pour cela la définir. Ainsi ce domaine du savoir émerge peu à peu au carrefour des diverses sciences humaines et plus particulièrement de la géographie.

 

 

Mots clefs : géoéconomie, géographie, épistémologie, interface humanité/espaces terrestres, réentrée, moindre contrainte, rupture/continuité, différenciation, temporalité, conquête, contrôle

 

 

 

Introduction

 

La perception que nous avons du monde et notre refus de nous voir ancré dans l’immédiateté médiatique nous orientent en direction de faits lointains. La connaissance du domaine géoéconomique ne s’est pas élaborée en quelques années, des civilisations ont développé des trésors d’ingéniosité pour parvenir à gérer et à exploiter leurs vastes territoires. En prenant pour base originelle cette mémoire lointaine des cours d’histoire sur Sumer, l’Egypte et Rome, nous émettons l’hypothèse que des prémices, à ce qu’est devenue la géoéconomie, étaient déjà perceptibles.

Ce positionnement anachronique pour les démarches contemporaines prend naissance au cœur des orientations humanistes[1], de la phénoménologie[2], des épistémologies constructivistes et génétiques ainsi que de l’humanisme en géographie[3]. La perception est l’action initiale. Nous acceptons l’observation, sans pour cela renier les technologies modernes qu’elles soient quantitativistes ou satellitaires. L’observation nous plonge dans l’empirie et une part d’éléments subjectifs. Un domaine scientifique ne peut souffrir de la subjectivité. Pourtant le bon sens nous permet de percevoir la disparition des glaciers et la hausse des températures. Par ce choix nous sommes placés aux marges des démarches scientifiques sans pour cela nous en exclure.

Quelles sont les prémices géoéconomiques sur lesquels nous pouvons fonder notre observation afin de percevoir cette longue élaboration ?

Au regard d’une partie de l’évolution des savoirs nous voulons mettre en exergue des éléments qui pourront être considérés comme des prémices à la géoéconomie. Nous retenons pour définition de la géoéconomie celle donnée par Pascal Lorot[4]. Nous demeurons dans ce cadre définitoire afin de mettre en lumière les éléments initiaux à cette émergence. La volonté de cartographier pour contrôler, celle d’écrire et de communiquer et celle de maîtriser les contraintes des espaces terrestres sont, pour notre perception des prémices de la géoéconomie, les éléments initiaux à l’émergence de ce domaine du savoir.  

 

 

Cartographier pour contrôler

 

La conquête de marchés, la mise en œuvre de processus économiques performants, la rentabilité d’un territoire, la préservation et l’amélioration de celui-ci, les jeux d’équilibres entre les flux financier, humains, les produits, ainsi que la maîtrise territoriale en fonction des aménagements et surtout de la connaissance des espaces terrestres[5], sont des constituants, non restrictifs, de la géoéconomie[6]. Des relations, des dynamiques et des constructions sont visibles sur les territoires. Une forme de géographicité se développe par le contact souvent rugueux des intérêts économiques de l’homme sur les espaces terrestres.

Cartographier pour contrôler est une action qui concourt au renforcement du potentiel économique d’un Etat[7]. En effet, une situation géographique deviendra plus accessible, les espaces terrestres aux marges de la nation seront plus ou moins connus et enfin, une mémoire des connaissances pourra être diffusée.

 

Une situation

            Nous faisons remonter ces prémices de cartographie d’une situation aux Sumériens[8] et aux Egyptiens[9]. Ces deux civilisations, sur de la pierre ou sur du papyrus, effectuaient des relevés topographiques initiaux. Ces tracés rudimentaires permettaient aux responsables des mines de Nubie[10] de se rendre sans trop de difficultés dans les lieux d’exploitation. Ainsi l’implantation des sources de production ou des potentialités des villes[11] étaient déjà il y a 4000 ans des éléments économiques en liaison avec des savoirs géographiques.

            Dans un état d’esprit similaire le relevé sur un document inaltérable témoignait de la maîtrise, même partielle, d’un territoire. L’idée de possession et de vérification de l’étendue d’une influence se mettait en place. Il est vrai que les sources documentaires sont rares sur ces périodes, mais la mise à plat d’une activité, afin de préserver les intérêts du possédant, était effectuée. Ainsi les balbutiements de la cartographie peuvent être considérés comme des prémices aux démarches géoéconomiques qui allaient s’étendre vers les espaces terrestres.

 

Des espaces terrestres

            Sumériens, Egyptiens ou Grecs tous se sont efforcés de rendre les espaces terrestres, connus ou supposés, plus accessibles à tous ceux qui oeuvraient pour la grandeur de la cité ou du pharaon. Ces quelques connaissances sur les espaces terrestres à conquérir facilitaient les conquêtes et étaient les supports aux implantations de nouvelles colonies sources de revenus vitaux pour ces civilisations.

            Au-delà des aspects matériels se greffaient l’image, le prestige et les capacités d’une civilisation à sortir de son territoire pour se répandre le plus loin possible comme le firent les Romains. La maîtrise des espaces terrestres sous contrôle favorisait les échanges commerciaux[12], l’alimentation des villes principales (l’annone à Rome[13]) ainsi que l’affirmation de la puissance dominante sur un territoire donné.

 

La mémoire et la diffusion

            Les rares cartes établies et les différents écrits, sous formes de lettres ou de rapports, donnaient des référents aux acteurs d’une période. Une mémoire non altérée, en principe, bien que les situations étaient très fréquemment embellies, facilitait la gestion des territoires sous contrôle ainsi que ses aménagements. Le pouvoir en place était en mesure d’agir, de veiller à la qualité des approvisionnements et à l’efficacité des flux de biens de consommation ou de main d’œuvre.

            Les supports cartographiques[14], malgré leurs imprécisions et leurs spéculations, facilitent les contacts avec les différentes civilisations ainsi que l’affirmation de ces civilisations dans leur zone d’influence, que ce soit la Grèce ou Rome et par la suite les conquêtes musulmanes, voire les grandes découvertes de la Renaissance[15]. Cette capacité de s’approprier une partie des espaces terrestres par une retranscription de la réalité, d’inscrire des dynamiques humaines et commerciales sur des supports communicables donnent des éléments aux prémices de démarches géoéconomiques.

 

 

Ecrire et communiquer afin de répondre aux mouvances

 

La géoéconomie[16], à l’image de tout domaine scientifique, résulte d’une longue évolution des savoirs et d’une stratification des connaissances, depuis que l’homme à produit des supports pour conserver en mémoire ses acquis sans altération. La géoéconomie émane de prémices qui émergent lors des balbutiements des démarches scientifiques. Ils lient les espaces terrestres que sont les territoires, l’humanité avec toutes ses formes d’activités ainsi que les productions construites par le modelage du support terrestre, avec les connaissances diffusées et les dynamiques économiques mises en œuvre. Cet ensemble contribue à l’interface humanité/espaces terrestres[17].

L’écriture et la communication il y a plus de 2000 ans réclamaient des délais des plus longs[18]. Toutefois, la volonté de mettre par écrit et celle de communiquer aux échelons décisionnels ou subordonnés les informations disponibles témoignent d’une capacité de réponse aux mouvances par une soif de connaissance de la réalité, une perception des flux d’hommes et l’action de compiler, d’analyser et de comprendre les comptes-rendus.  

 

Soif de connaissance de la réalité

            Les Sumériens, les Egyptiens, plus tard les Romains, il y a sept cents ans les Vénitiens et aujourd’hui les implantations chinoises en Afrique, n’auraient pu se produire sans une soif de connaissance de la réalité. Il était impératif pour les cités conquérantes de s’informer sur les potentialités des territoires, sur les marchés qui alimentaient les villes et sur les réseaux de distribution des denrées alimentaires ou des biens précieux.

            Il y avait une collecte d’informations. Elle s’effectuait à la source auprès des marchands, des caravaniers et des observateurs[19]. La survie d’une cité, d’un territoire dépendait, comme aujourd’hui, de sa faculté à s’approvisionner au meilleur prix et dans la moindre contrainte. Cela signifie qu’il y a plus de deux millénaires des  relations, que nous pouvons qualifier de réentrées[20], étaient employées dans le but de préserver les intérêts des investisseurs ou des conquérants.  

 

Percevoir les flux d’hommes, de biens et d’idéaux

            Les rapports et les comptes-rendus du genre de ceux de Pline le Jeune n’étaient pas très courants. Toutefois, les administrations mises en place avaient suffisamment d’informations sur les activités, les modes de fonctionnements, les migrations pendulaires ainsi que sur les principales voies de communication pour contrôler leur territoire. La venue de marchands d’horizons toujours plus lointains, la demande de produits de luxe qui ne cessait de croître et la volonté d’étaler sa puissance aux yeux de tous, sont autant d’éléments qui attestent de la nécessité de percevoir les différents flux irrigants un territoire.

            Ces différents aspects impliquent une forme de surveillance des itinéraires, une capacité à différencier les informations et les acteurs ainsi qu’à s’inscrire au cœur de temporalités des plus variables (liées aux délais des trajets). Dans cette perspective les flux d’idéaux deviennent accessibles. Ils sont une forme de rupture/continuité dans les systèmes existants avec pour exemples les plus frappants la diffusion du christianisme et de la religion musulmane qui se sont effectuées de manières similaires, fondées sur des maîtrises territoriales et une capacité à s’adapter aux exigences locales.

 

Compiler, analyser et comprendre les comptes-rendus

            Les flux d’informations, de renseignements et de données n’ont cessé de s’intensifier et de se densifier. Il est vrai avec une période beaucoup plus décousue dans la première partie du Moyen-Âge[21]. Néanmoins, les acteurs de ces périodes s’efforcent d’acquérir et de diffuser toujours plus de savoirs sur les nouveaux territoires[22] conquis, sur les populations côtoyées ainsi que sur les potentialités de ces nouvelles terres.

            Dans le même temps de l’accumulation de savoirs il était nécessaire de former les générations futures à l’emploi et à la mise en œuvre des connaissances disponibles. L’œuvre de recueil d’une multitude d’informations effectué par exemple avec Marco Polo[23] et par la suite avec les jésuites[24], à la fois dans leurs enseignements et dans leurs collectes de savoirs, démontre le souci d’analyse et de compréhension des espaces terrestres sous surveillance et en cours de découverte.

 

 

Maîtriser les contraintes des espaces terrestres

           

La maîtrise des contraintes des espaces terrestres résulte d’une longue expérience, d’une volonté de conservation de la mémoire collective et d’une adaptation permanente aux phénomènes naturels. L’exemple le plus marquant est la civilisation égyptienne avec la gestion des crues du Nil pour le développement d’une agriculture extrêmement performante associée à un réseau de distribution efficace dans toute la vallée du fleuve.

            Une telle maîtrise ne fut accessible que par la mise en œuvre de la connaissance et des connaissances disponibles[25], un certain détachement sur les phénomènes et une conscience de l’interface humanité/espaces terrestres.

 

Par la connaissance

            Les supports sont les sols, les populations et les potentialités des différents territoires. La qualité des sols, le climat et les différents incidents climatiques sont autant d’éléments indispensables à la maîtrise d’une zone.

            L’utilisation et la destination de l’espace terrestre utilisé par les possesseurs antérieurs sont tout aussi importantes. En effet, savoir pourquoi des parcelles ne sont destinées qu’à un type d’activité, ou savoir pourquoi il n’y a pas de construction sur un site, en dehors de croyances ou de rites spécifiques, peut éviter des catastrophes comme les glissements de terrain. L’utilisation souhaitée doit rapporter des revenus aux exploitants dans ces conditions l’investisseurs ne peut perdre ses fonds par ignorance.

            Néanmoins, il est nécessaire d’acquérir une connaissance sur les phénomènes. Les mythes ou les récits des voyageurs sont des témoignages employés afin d’entreprendre des voyages dans les meilleures conditions. Ces connaissances sur les risques climatiques permirent aux investisseurs de la Renaissance de faire des profits considérables et affirmer la domination économique de Venise sur la Méditerranée.

 

Par le détachement

            Le détachement est recul de l’étude. Il est la faculté de ne pas sombrer dans l’immédiateté, ce fléau dans lequel nous vivons. Le recul de l’étude était facilité par les délais et une forme de sagesse ou de sécurité avec laquelle les investisseurs et les décideurs prenaient leurs décisions.

            Faire face à l’immédiat s’appliquait dès la haute antiquité. Les actions entreprises étaient fondées sur une expérience. Les administrateurs conservaient en mémoire les actions et les solutions antérieures tout en s’efforçant d’améliorer les rendements et d’augmenter leur rayonnement dans les espaces à conquérir.

            Cependant, les échelles de temps, ces fameuses temporalités, n’étaient pas aussi serrées qu’aujourd’hui. L’œuvre à accomplir n’était pas que pour l’individu qui la diffusait. Elle devait pouvoir servir pour les générations futures. Un état d’esprit conquérant et conquérant, qui se projetait à longue échéance en essayant de percevoir les conséquences des actions entreprises, était de mise.

 

La conscience de l’interface humanité/espaces terrestres

            Tout n’était pas idyllique dans ces prémices de la géoéconomie et pour la rentabilisation des espaces terrestres. Il fallait aux décideurs avoir conscience des délais, qu’ils soient de construction ou de déplacement. Ils prenaient en considération les rythmes de la nature et les rythmes humains. Ils s’efforçaient de construire au sein d’une interface en préservant les équilibres dits naturels (de moindre contrainte).

            Cela signifie qu’ils intégraient les contraintes non comme des éléments à éliminer mais comme des difficultés à contourner ou à concilier dans leurs constructions et leurs expansions de réseaux. Dans cet état d’esprit la conscience d’une contrainte se gérait. Des témoignages de premier ordre demeurent : le pont du Gard, les systèmes d’irrigation au Moyen-Orient ou au Maroc, ou la construction de Venise.

            Les qualités du support étaient recherchées. Il y avait une volonté de mettre en valeur le territoire tout en exposant ses capacités à produire des monuments hors du commun. Les pyramides, les temples grecs ou romains et les voies romaines témoignent de cet état d’esprit qui vise à rentabiliser les espaces terrestres tout en préservant leur nature.

 

 

 

Conclusion

S’approprier l’interface humanité/espaces terrestres par l’intermédiaire de la cartographie, des comptes-rendus objectifs et réalistes et s’efforcer d’intégrer les aspirations anthropiques au cœur de la nature sont des actions mises en œuvre depuis l’émergence de l’humanité.

L’homme : par un mécanisme de différenciation de ses actions et de ses objectifs ; par l’utilisation de réentrées adaptées aux exigences du moment ; par sa faculté à agir selon la moindre contrainte tout en créant des ruptures dans la continuité de son évolution ; a développé des moyens pour contrôler le monde et les dynamiques qu’il crée.

Cet homme s’imprégnait du passé et de temporalités variables afin d’éviter des errements. Depuis plusieurs décennies nous voulons gagner du temps sur le temps, le culte du scientisme domine nos réflexions, la justification par l’équation, arme favorite des technocrates ainsi qu’une cupidité accrue ont contribué à la réduction à quelques années de notre mémoire individuelle et collective.

La géoéconomie, au même titre que les sciences humaines, a besoin d’observer ses prémices, non pour justifier sa démarche, mais pour diversifier son regard. Admettre un lointain passé, le rôle du temps et des expériences autres que celles de l’immédiateté. Ce positionnement devrait nous donner des réponses performantes aux réalités auxquelles nous devons faire face.

 

 

 

 

Bibliographie

 

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STASZAK Jean-François, 1995, La géographie d’avant la géographie, Paris, L’Harmattan, 252 p.

 



[1] John PICKLES, 1988, Geography and Humanism, Norwick, Geo books, 64 p.

[2] Maurice MERLEAU-PONTY, 1945, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 531 p.

[3] Antoine BAILLY, Renato SCARIATI, 1990, L’humanisme en géographie, Paris, Anthropos, 172 p.

[4] Pascal LOROT,  La géoéconomie, nouvelle grammaire des rivalités internationales, pp. 110-120

[5] Yannick BRUN-PICARD, 2005, L’humanisme géographique, thèse de doctorat en géographie, Aix-en-Provence et Québec, sous la direction de Jean-Paul FERRIER (Aix-en-Provence) et de Guy MERCIER (Québec).

[6] Eric POMES, Conquérir les marchés, le rôle des Etats, Paris, l’Harmattan, 2004.

[7] Ces termes sont en relation directe avec la définition de P. Lorot, p. 114. Ainsi des aspects définitoires sont associés afin de développer notre observation des prémices.

[8] Samuel Noah KRAMER, 1957, L’histoire commence à Sumer, Paris, Arthaud, 313 p.

[9] Adolf ERMAN, Hermann RANKE, 1952, La civilisation égyptienne, Paris, Payot, 759 p.

[10] Adolf ERMAN, Hermann RANKE, op.cit., p. 627.

[11] Samuel Noah KRAMER, op.cit., p. 292.

[12] Pline le Jeune, 1972, Panégyrique de Trajan, Paris, Les Belles Lettres, 200 p.

[13] Georges HACQUARD, 1952, Guide romain antique, Paris, Hachette, p. 138.

[14] Clarence J. GLACKEN, 2000, Histoire de la pensée géographique, tome 1, Paris, CTHS, 297 p.

Jean-Paul FERRIER, 2005, Alter-géographies fiches disputables de géographie, Aix-en-Provence, PUP, 283 p.

[15] Numa BROC, 1980, La géographie de la Renaissance, Paris, Bibliothèque nationale, 261 p.

[16] Jacques LEVY, Michel LUSSAULT, Dictionnaire de géographie, Paris, Belin, 2005, p. 396.

[17] Yannick BRUN-PICARD, op. cit.

[18] Pline le Jeune, op. cit.

[19] Robert FOSSIER, 1986, Le Moyen-Age, tome 1, Paris, Armand Colin, 543 p.

[20] Yannick BRUN-PICARD, op. cit.

[21] Robert FOSSIER, op. cit.

[22] Numa BROC, 1980, La géographie de la Renaissance, Paris, Bibliothèque nationale, 261 p.

François de Dainville, 1940, La géographie des humanistes, Paris, Beauchesne et fils, 550 p.

[23] Marco POLO, 1998, Le devisement du monde, Paris, La Découverte, tome 1 : 272 p, tome 2 : 300 p.

[24] François de DAINVILLE, 1940, La géographie des humanistes, Paris, Beauchesne, 550 p.

[25] Georges HACQUARD, 1952, Guide romain antique, Paris, Hachette, 224 p.

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 15:35

Résumé :

Nous supposons que l’interface humanité/espaces terrestres peut être employée comme un outil en géoéconomie. Dans cette perspective sont abordées les données essentielles à son emploi en tant que tel en fonction de ses orientations, ses explications et ses origines. Cette proposition d’emploi est articulée autour de la mise en place de ce concept avec son support conceptuel et ses dynamiques propres. Son emploi fonctionnel, adaptable et de projection ne dissimule en rien les conséquences à son utilisation. Ces dernières peuvent être perçues de manière négative. Néanmoins, la connaissance apporte une protection et cet outil contribue à la production d’un support. Cette interface favorise les travaux transdisciplinaires, permet de saisir les territorialisations mouvantes et de satisfaire aux implications géoéconomiques du monde contemporain.

 

Mots clefs : géoéconomie, géographie, transdisciplinarité, temporalité, moindre contrainte, rupture/continuité, réentrée, différenciation, humanité espaces/terrestres

 

 

 

Introduction

 

La géoéconomie[1] dans ses emplois et ses orientations à pour finalités fonctionnelles : la conquête des marchés, la mise en œuvre de processus économiques performants, la rentabilité d’un territoire, la préservation et l’amélioration de celui-ci, faire en sorte de conserver le contrôle sur les flux financiers, parvenir à acquérir une maîtrise territoriale en fonction des aménagements et de la connaissance des espaces terrestres. Ces attentes engendrent des dynamiques anthropiques. Elles sont visibles selon qu’elles agissent au sein d’un espace virtuel ou d’un territoire physique.

Néanmoins, l’ensemble des relations induites fabrique des territoires adaptés aux développements entrepris. De ces territoires à la nature des plus diverses émane une géographicité[2] – de notre rapport au support – en fonction de la destination donnée à la construction. Les démarches, les orientations et les finalités géoéconomiques sont liées à la constitution d’un territoire propre à l’activité existante. Ce territoire résulte de supports, de moyens et d’activités humaines. Il induit une interface où ce développent, s’articulent et s’équilibrent les relations entre les partenaires.

Ce type d’interface a été défini comme étant l’objet de la géographie[3]. Cet objet, l’interface humanité/espaces terrestres, ne peut pas être l’objet de la géoéconomie. Toutefois, en tant que référent d’un domaine scientifique il peut être employé comme outil en géoéconomie. Dans une approche récente des prémices de la géoéconomie[4] nous avons sous-tendu l’emploi de cet outil en reliant géographie et géoéconomie dans l’évolution du savoir sur les réalités du monde et l’accumulation des connaissances afin de parvenir à une gestion performante.

Nous ne dérogeons pas à ce choix et nous renforçons ce lien. En outre, nous avons élargi notre approche, dépassant l’humanisme que nous défendons, la phénoménologie source de réflexion ainsi que les évolutions historiques, afin de mettre en corrélation l’objet de la géographie et son emploi comme outil en géoéconomie. Par réflexe nous nous sommes plongés, à nouveau, dans les écrits de G. Bachelard[5], de M. Bitbol[6] et de W. Heisenberg[7]. Que le panel est large ! L’appui sur des fondements si étendus nous permet de ne pas enfermer notre réflexion. Il offre la faculté de greffer en permanence des articulations pour répondre aux évolutions, aux phénomènes et aux exigences d’une étude. L’ouverture philosophique ne peut pas être suffisante, d’où nos liens avec les propositions anciennes de C. Ritter[8] et les travaux de C. Vallaux[9]. Ces auteurs nous apportent des ébauches que nous complétons avec celles de F. Ratzel[10] et E. Ullman[11]. Ce ne sont pas des géographes contemporains mais ils ont œuvré sur le territoire, les activités et le devenir des acquisitions en fonction de leurs exploitations. Nous sommes ancrés sur une volonté de perception des mouvements et des réalités tout en conservant le recul nécessaire face aux phénomènes.

A l’aide des influences guides de notre observation nous avons décortiqué des productions de géoéconomie. Nous les avons mises en relation  avec la géographie et son objet. Nous avons cherché des liens permanents tels que : l’activité, le territoire, les dynamiques, l’homme dans ses perspectives. Ces informations de divers niveaux nous ont mené à poser l’hypothèse, déjà perceptible plus haut, que l’interface humanité/espaces terrestres pourrait être employée comme outil en géoéconomie.

Quels sont les éléments attestant de sa pertinence ? Pourquoi un outil supplémentaire ? Qu’est ce que peut apporter cette interface ? Comment l’employer avec efficacité ? Quelles sont les données essentielles qui contribuent à l’emploi de l’interface humanité/espaces terrestres pour un outil géoéconomique en fonction de ses orientations, de ses explications et de ses origines ?

Nous articulerons notre proposition d’emploi sur la mise en place de cette interface, l’emploi que l’on peut en faire et les conséquences perceptibles actuellement.

 

 

 

Mise en place

 

La mise en place de cet outil, l’interface humanité espaces/terrestres[12], au sein des démarches géoéconomiques s’articule sur un support conceptuel, une action dont l’objectif est de dépasser la normalité ainsi que de tendre hors des spécialisations.

 

Un support conceptuel

Le support conceptuel de mise en œuvre de l’objet de la géographie est fondé sur un ensemble de cinq concepts[13] : la différenciation, la moindre contrainte, la réentrée, la rupture/continuité et la temporalité. Cette association facilite la perception des phénomènes et permet que les territoires construits soient quantifiables, vérifiables, comparables et reproductibles.

La différenciation nous impose la définition des objets que l’on souhaite mettre en exergue. Elle lie la démarche et l’étude à un domaine spécifique par le décorticage qui en résulte et facilite la perception de réalités à la limite de l’accessible.

La moindre contrainte est une volonté d’équilibre, un choix, une relation et un échange continuel entre les différentes sources d’informations et de production du savoir en cours d’évolution. Ce concept par l’association dynamique d’un grand nombre de constituants contribue à la construction de la réponse finale à une problématique.

La réentrée, et non pas le feedback avec sa boite noire, insiste sur les choix, les fondements et les sélections opérées dans nos productions du moment. Elle est le fruit d’influences, de ressources et de projections conçues en fonction d’objectifs prédéfinis.

Le concept de rupture/continuité, non pas de discontinuité car quoi que nous fassions nous nous trouvons au cœur de territoires hétérogènes, précise les phases de conquêtes et de dominations. Il nous offre la capacité de définir les territorialisations sources d’un territoire afin que les observations s’effectuent dans un cadre précis.

La temporalité est le dernier concept[14]. Par son intermédiaire nous mettons en relation et en synergie des durées longues (des années), moyennes (des mois), courtes (des heures ou des jours) ainsi que l’immédiateté du phénomène en cours de réalisation. L’imbrication de ces phases temporelles contribue à la reconnaissance des différents types d’actions dans le temps en fonctions d’attentes et de leurs échéances.

 

Dépasser la normalité

Dépasser la normalité est quelque part un vœu pieux. En effet, nous sommes ancrés dans la norme[15]. Cette normalité qui fait de chacun de nous des consommateurs d’images et de médiatisation. Toutefois, en conservant la mémoire pour fondement, en jouant des aspects physiques et virtuels puis en agissant sur l’accessibilité de la réalité il est possible de dépasser cette normalité.

La mémoire pour fondement aux démarches entreprises s’inscrit dans volonté de prendre conscience de ce qui existait auparavant. Cette mémoire, met en œuvre le concept de réentrée, agit sur les activités, les acteurs et les lieux sur/dans lesquels une étude est entreprise. La mémoire nous lie au présent que nous avons face à nous et surtout nous permet de percevoir ce passé, qu’il nous faut préserver, afin d’enrichir notre savoir.

Les actions de perception d’aspects physiques et/ou virtuels contribuent à l’observation de divers niveaux d’interactions sans pour cela s’extraire du domaine d’étude. L’espace, le paysage et le territoire[16] sont alors employés afin de décrire le cadre de réalisation des différentes actions dans le type de production. Une interface est alors produite. Elle est un espace produit, qui offre au regard un paysage, tout en devenant un territoire d’analyse.

Une forme d’accessibilité se développe lors de la mise en relation des différents éléments constituants un domaine d’étude. Cette accessibilité émane de la communication qui en résulte, de l’ouverture nécessaire pour vouloir observer hors de la norme ainsi que de l’équilibre entre les acteurs soumis à l’observation et ceux source de cette action.

 

Hors des spécialisations

Vouloir se positionner hors des spécialisations n’est en aucune manière prôner une démarche généraliste nuisible aux domaines scientifiques. Œuvrer hors des spécialisations est simplement s’inscrire dans un domaine du savoir en employant des outils, dans un cadre transdisciplinaire afin d’acquérir la/une réalité et entrevoir des projections.

Un outil, qu’il soit de l’imagerie satellitaire, des programmes statistiques, des programmes de cartographie, des équations mathématiques ou plus simplement une mouvance philosophique et par extension l’interface humanité/espaces terrestres, a l’obligation de demeurer à sa place d’outil. L’outil est un objet de soutien à une démarche. Il permet d’étayer des observations. Il ne peut pas être considéré comme un domaine scientifique ou même titre qu’une science. Cet outil est une référence que l’on peut employer en permanence. L’outil ainsi employé devient une source externe d’informations propices aux échanges entre les domaines scientifiques.

Ainsi nous agissons dans un esprit transdisciplinaire. La transdisciplinarité[17] ne crée par de hiérarchie entre les sciences ou les méthodes d’étude. Elle met en relation les sciences dans leurs complémentarités. Elle permet des articulations sans aucun préjugé. Enfin, elle facilite les projections aux profits de différents domaines de la connaissance collective. La transdisciplinarité favorise les échanges dans un cadre plus ouvert que celui de l’interdisciplinarité qui pour sa part conserve les a priori des différents acteurs.

L’acquisition d’une forme de réalité au sein d’une interface résulte en partie du lien mnémonique produit par le concepteur lors de l’étude de l’objet en cours d’élaboration. Cette action se développe par un ancrage sur un évènementiel contemporain, puisque la/une réalité devient ce qui est accessible maintenant. Enfin, cet ancrage contribue aux perspectives, aux prospectives et aux anticipations accessibles et projetables dans/sur l’interface constituée.

 

Le support conceptuel à l’interface humanité/espaces terrestres nous offre la potentialité de dépasser la normalité. Il nous positionne hors des spécialisations tout en demeurant au cœur des démarches scientifiques. Il préserve les caractères quantifiables, reproductibles et de comparaisons de l’espace d’étude proposé pour son emploi comme outil géoéconomique.

 

 

L’emploi de l’interface humanité/espaces terrestres

 

Chaque outil possède un emploi, une destination et des spécificités particulières. L’interface humanité/espaces terrestres dans le cadre d’une démarche géoéconomique a un emploi fonctionnel, adaptable et de projections.

 

Fonctionnel

L’aspect fonctionnel de l’emploi de l’interface réside dans sa capacité à se saisir des lieux de lecture des activités, en fonction de la nature des activités sélectionnées ainsi que des attentes de l’observateur selon le phénomène étudié.

L’interface propose à l’observateur des lieux de lecture aussi divers qu’un espace, un paysage ou un territoire. Elle met en évidence une structure territoriale construite en fonction de ses activités financières ou commerciales. Elle pose les dynamiques sur un support terrestres existant et permet de mettre en relation la totalité des acteurs en contact. Le lien entre le construit et l’hérité (les acquis) facilite les projections sur la zone d’étude considérée.

La mise en perspective est dépendante de la nature des activités. Ces dernières présentent multiples visages. Que ce soit des flux, des dynamiques en fonction d’intensités et de densités des plus variables. Les destinations, la gestion et les potentialités de la structure construite sont données comme étant accessibles du seul fait de leur mise en perspective.

Ce cadre fonctionnel de l’interface est produit en fonction des attentes des acteurs. Que celles-ci dépendent des délais, des conséquences ou des orientations prises. L’observateur est en mesure de percevoir les contraintes et les dommages collatéraux, selon ses propres critères d’évaluation qui seront à valider par les destinataires de l’étude.

 

Adaptable

La faculté d’adaptation est une force pour répondre au rythme effréné de nos sociétés contemporaines soumises à une constante accélération. L’interface s’adapte aux dimensions des objets d’étude, aux liens et aux domaines d’observation.

L’interface humanité/espaces terrestres s’adapte pour les dimensions des objets étudiés en fonction des niveaux d’actions ou de relations. Cette adaptation contribue à la détermination de hiérarchies, d’interdépendances, de flux et de réseaux internes à la structure d’observation. Ainsi l’interface propose des découpages d’un territoire sans désincarner la parcelle ou la dynamique observée.

Les liens et les articulations sont perceptibles sous diverses approches, échelles de projection et temporalités de projection. L’interface englobe des structures nodales[18] plus ou moins complexes et denses aux destinations diversifiées. Les interdépendances au cœur d’un territoire sont employées comme des relations structurantes afin de saisir les mécanismes internes au territoire construit.

Dans cette perspective l’adaptation s’effectue dans multiples domaines d’expertise. Ces domaines pour lesquels l’interface se modèle sont : sociaux, économiques, humanitaires, industriels, énergétiques ou politiques. A chaque type d’activité une nouvelle structure territoriale est définie tout en étant en étroite relation avec son territoire originel.

 

De projections

L’interface humanité/espaces terrestres a des emplois fonctionnels et de grandes facultés d’adaptation. Ses capacités sont complétées par des projections que celles-ci se projettent dans le temps, en fonction de dynamiques particulières ou de potentialités spécifiques.

La projection temporelle nous ramène, par la mise en œuvre du concept de réentrée, au concept de temporalité. Nous nous inscrivons au sein de différents temps (longs ou courts) et de destinations des emplois de temporalités. L’interface est proposée en fonction de ses liens temporels à des types d’activités et de leur répartition selon leur durée de fonctionnement. L’interface par ce lien contribue à la perception d’un phénomène dans la durée.

Les dynamiques et les phénomènes mis en évidence au sein de l’interface deviennent plus lisibles. Les modularités envisageables en fonction du territoire produit, les types d’attentes et les lieux potentiels mis en œuvre sont autant d’éléments de projections sur des échéances variables en fonction de chaque facteur étudié.

Enfin, la projection des potentialités de l’interface élaborée permet d’accéder à une certaine maîtrise des espaces associés. Les réseaux mis en relation, voire en interdépendance, sont évalués dans leurs capacités propres en fonction du territoire où ils agissent. L’expansion envisageable des acteurs et des dynamiques existantes se perçoit par l’intermédiaire du support terrestre sur lequel l’ensemble prend naissance et se développe.

 

L’emploi de l’interface humanité/espaces terrestres, comme outil géoéconomique, repose sur trois aspects majeurs que sont la fonctionnalité, l’adaptabilité et la capacité de projection. De nombreux outils permettent de telles performances. Toutefois, cette interface positionne l’étude géoéconomique sur un territoire tout en le liant aux réalités du moment. Néanmoins, des conséquences à cette utilisation sont perceptibles.

 

 

Les conséquences de l’emploi de l’interface humanité/espaces terrestres

 

Toute action engendre des conséquences plus ou moins perceptibles. L’emploi de l’interface humanité/espaces terrestres comme outil géoéconomique ne déroge pas à ce constat. Ces conséquences, pour l’approche présente, sont articulées sur des capacités négatives, la faculté de connaître pour se protéger et la production d’un support.

 

Capacités négatives

Admettre qu’un outil, qui de plus est l’objet d’une science, possède des aspects négatifs n’est pas une démarche simple. Cette reconnaissance implique que l’on accepte une forme d’incomplétude, une incapacité à saisir la totalité d’un phénomène, ainsi que le savoir est une construction permanente, qui a besoin de propositions hors des sentiers battus.

L’interface met en valeur les temporalités mais la période dans laquelle nous nous trouvons n’est pas propice à ce type d’orientation[19]. Les facteurs conjoncturels et structurels de nos sociétés sont fermement attachés à leurs outils. L’interface est alors perçue comme un anachronisme ou une surenchère opportuniste dans ses emplois et ses destinations.

Un sentiment d’opacité lié à la multiplication des objets construits s’affirme à l’encontre de l’interface. Sa capacité à se saisir des territoires, des dynamiques et de différents domaines lui donne une image de touche à tout des plus négatives. A tout vouloir aborder ont finit par ne plus rien proposer. De plus, cet outil peut être densifié et intensifié à souhait selon les thématiques et les phénomènes traités.

A ces aspects négatifs s’ajoute celui de l’image produite, perçue et véhiculée par cette interface. Elle a été définie comme objet d’une géographie – science des espaces terrestres des hommes – proposition pour laquelle le débat n’est pas encore ouvert. Il s’ensuit une image fondée sur des sables mouvants qui n’offrent pas de stabilité aux raisonnements entrepris aux regards des détracteurs.

 

Connaître pour se protéger

Ces aspects négatifs ne doivent en aucune manière entacher l’outil qu’est l’interface humanité/espaces terrestres.  Son utilisation permet de connaître le monde dans une finalité de protection en acceptant des situations, en gérant le passé et sans pour cela occulter des faces cachées, propres à chaque construction.

L’interface donne accès, par la mise en relation des différents constituants du territoire construit, aux tendances vécues et perçues par les acteurs de cette zone. La prise de conscience de dynamiques facilite la détermination d’inerties ou de freins inhérents à des structures décisionnelles qui ont des difficultés à se remettre en cause. La connaissance des mouvances internes contribue à se protéger des pulsions des acteurs, par l’analyse antérieure réalisée lors de la constitution du territoire d’étude.

A nouveau nous avons un lien indissoluble avec le passé. Ce passé est celui du lieu d’exercice, de sa nature et de son héritage. La gestion du passé, par sa connaissance, pour les études, les propositions et les projections en relation avec l’interface, donne une souplesse adaptative à la structure d’observation.

Afin de se prémunir de tout excès et de tout égarement il incombe à l’observateur de mettre en évidence la face cachée de l’objet étudié. Cette face cachée possède une multitude d’apparences. Elle est consciente et inconsciente. Elle peut être tenue sous le couvert d’une démarche spéculative dont l’objectif est de dissimuler les contres coups immédiats aux investisseurs ou aux partenaires. Elle appartient à tout objet et ne peut pas être négligée.

 

La production d’un support

Nous avons, plus haut, suggéré des aspects de la production du support qu’est l’interface humanité/espaces terrestres. Maintenant, en ce qui concerne les conséquences nous sommes en mesure de présenter succinctement les cinq aspects qui nous semblent des plus importants. L’interface nous donne accès à des territoires, des dynamiques territoriales et à des phénomènes : reproductibles, quantifiables, vérifiables, comparables et évolutifs.

La capacité de reproduction est liée aux dimensions, aux niveaux, aux acteurs et aux types d’activités en synergie dans le territoire considéré. Les éléments ayant été différenciés lors de la construction de l’espace d’analyse permettent de reproduire à souhait des structures similaires.

Quantifier une production est une obligation pour toute démarche scientifique. Par l’intermédiaire de l’interface il devient plus simple de s’attacher aux points de départ, aux performances en cours de réalisation ainsi qu’aux conséquences immédiates ou perceptibles. Des valeurs sont attribuables à chaque étape ce qui renforce les capacités d’analyse sur le territoire d’observation.

La vérification pour sa part s’effectue dans la construction de l’objet d’étude, la nature palpable et intangible des acteurs mis en relation et la réalisation des objectifs intermédiaires et finaux. En vérifiant chaque étape d’élaboration l’observateur est en mesure de répondre dans les meilleurs délais aux réalités qu’il côtoie afin de produire une connaissance performante pour tous les observateurs.

L’interface produite permet la comparaison des éléments constituant son ossature. Cette comparaison se fonde sur la mémoire, les activités en cours, les projets en relations et les dynamiques qui animent l’objet proposé. En comparant à divers niveaux, en fonction de perspectives parfois opposées, tout en demeurant au cœur des exigences de l’étude, l’interface offre un outil de comparaison à géométrie variable.

Cette nature évolutive, dernier aspect des conséquences, positionne l’interface comme un outil de prospection et de projection. Les enjeux, les contraintes et les capacités sont groupées dans un seul ensemble défini, territorialisé et accessible. En fixant des bornes à un objet clairement identifié il est plus simple par la suite de l’adapter aux exigences du moment sans en dénaturer la teneur.

 

Des aspects négatifs ne peuvent pas être gommés. Ils sont le propre de toute construction humaine. Cependant, l’interface humanité/espaces terrestres est donnée comme un outil dont l’emploi est en mesure d’améliorer la connaissance du monde, tout en produisant des savoirs de qualité afin de construire des outils plus performants.

 

 

 

Conclusion

 

L’interface humanité/espaces terrestres donne un cadre de référence articulé sur un support, lié aux activités et en relations avec les perspectives soutenues par l’homme. Elle donne ainsi accès aux dynamiques des productions anthropiques au cœur d’un territoire donné ou d’un territoire en devenir. Elle est souple, adaptable, quantifiable et reproductible en fonction des projets et des observateurs. Sa fonctionnalité, ses relations au réel et ses perspectives en font un outil contemporain. La géoéconomie emploie déjà ce concept sans pour cela le nommer. En effet, ses observations et ses études de flux au sein des territoires, ses propositions de positionnements et de projets d’aménagements ainsi que ses orientations vers l’exercice de la puissance sur un territoire sont autant d’aspects intégrés dans l’interface humanité/espaces terrestres.

Il est vrai que pour la géoéconomie elle n’est qu’un outil supplémentaire, influencé par les mouvances humanistes, qui est l’objet de la géographie. Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de surcharger des acquis déjà performants. Et, il est vrai qu’un outil n’est qu’un outil et que c’est son emploi, sa pertinence et son adaptabilité qui font sa force.

Le propre d’une proposition est de faire avancer la construction du savoir scientifique. L’emploi de cet outil permet de renforcer des liens transdisciplinaires entre la géographie et la géoéconomie. Il offre des potentialités insoupçonnées d’ouverture, des approches novatrices sur les territoires, leurs dynamiques et surtout leur devenir. De telles perspectives sont à prendre en considération dans un monde aux territorialisations mouvantes, aux exigences de réponses sans cesse renouvelées ainsi qu’aux implications géoéconomiques croissantes et toujours plus pressantes, pour le devenir de la terre et des hommes.

 

 

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[1] Pomes E., 2004, Conquérir les marchés, le rôle des états, Paris, L’Harmattan, 277 p.

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[2] Dardel E., 1990, L’homme et la terre, nature de la réalité géographique, Paris, CTHS, 201 p., (1952).

Lévy J., Lussault M., 2003, op. cit.

[3] Brun-Picard Y., 2005, L’humanisme géographique, thèse, Aix-en-Provence, 350 p.

[4] Brun-Picard Y., 2006, Prémices géoéconomiques, Solidarité internationale, article en ligne.

[5] Bachelard G., 1999, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 258 p.

[6] Bitbol M., 1998, L’aveuglante proximité du réel, Paris, Flammarion, 379 p.

[7] Heisenberg W., 1972, La partie et le tout, Paris, Flammarion, 338 p.

[8] Ritter C., 1852, Introduction à la géographie générale comparée, Besançon, CGB, 255 p

[9] Vallaux C., 1929, Les sciences géographiques, Paris, Félix Alcan, 413 p.

Vallaux C., 1911, Géographie sociale le sol et l’état, Paris, Doin, 420 p.

[10] Ratzel F., 1988, Géographie politique, Genève, Editions régionales européennes.

[11] Ullman E., 1980, Geography as Spatial Interaction, Londres, U.W.P.

[12] Humanité/espaces terrestres : interface, donnée comme étant l’objet d’une géographie science des espaces terrestres des hommes, met en relation des spatialités, des comportements, des phénomènes produits, induits ou indépendants au sein de relations verticales et horizontales qui produisent un modelé et une/la réalité que chaque observateur peut vivre ou percevoir. Elle est le produit de l’interaction des concepts de différenciation, de moindre contrainte, de réentrée et de rupture/continuité articulés autour/sur le concept de temporalité. Cet objet dépasse, sans en faire la négation, les relations Homme/Nature ou Homme/Habitat. Sa construction n’est concevable qu’au sein de démarches phénoménologiques et transdisciplinaires pour lesquelles l’humanité, c’est-à-dire l’homme dans toute sa diversité, sa complexité et sa subjectivité, peut être séparé ou rattaché à volonté ou par obligation aux espaces terrestres de dimensions, de natures, de constructions et d’héritages ou de perspectives d’une grande diversité. Cet objet est produit selon les problématiques et les orientations sociales, économiques, politiques, géopolitiques, physiques ou humaines que l’observateur propose. Cette diversité contribue aux comparaisons, évaluations, vérifications, quantifications, falsifications et reproductions des savoirs élaborés. Dans cette orientation d’une géographie scientifique s’ouvrant largement à la reconnaissance de l’existence d’un noyau commun à l’ensemble de ses domaines et spécialités, dénommé l’humanisme géographique, produit et induit par la mise en œuvre de cette interface.

[13] Dans le cadre de cet article il ne nous appartient pas de revenir en détail sur la mise en œuvre de ces concepts dans leurs domaines d’emploi, ces informations sont disponibles dans : Brun-Picard Y., 2005, op. cit.

[14] Des développements plus complets, propres à chaque concept, orientés en direction des approches géographiques sont proposés dans : Brun-Picard Y., 2005, op. cit.

[15] La norme est, à notre sens, une structure de modèles, de restitutions, d’appartenance et d’obligations dans laquelle nous devons nous fondre afin de satisfaire aux systèmes existants.

[16] Berque A., 2000, Ecoumène introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 271 p.

Brun-Picard Y., 2005, op. cit.

Pitte J.-R., 2003, Histoire du paysage français, Paris, Taillandier, 444 p.  

[17] Nicolescu B., 1996, La transdisciplinarité, Monaco, Editions du Rocher, 232 p.

[18] Wackermann G., 1996, Nouveaux espaces et systèmes urbains, Paris, SEDES, 489 p.

[19] Ce type d’orientation réside dans le culte de l’immédiateté, de la médiatisation et de l’absence d’analyse sur une longue période.

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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 15:17

 Résumé

Nous supposons que la compétence peut être effrayante pour ceux qui ne la possèdent pas et pour ceux qui la mettent en œuvre. Qu’est-ce qui fait que cette compétence s’avère effrayante ? La démarche méthodologique entreprise, articulée par des entretiens semi-directifs, nous éclaire sur la diversité des perceptions de ce phénomène. Ainsi, une image de ce que semble être la compétence est exposée afin de parvenir à ce qui est à même de rendre la compétence effrayante. La compétence se révèle d’une rare complexité, d’une accessibilité ardue et d’une perception des plus larges. Au final elle semble ne pas être si effrayante que cela si toutefois nous possédons une forme de cette compétence et que nous avons conscience des devoirs qu’elle impose pour sa mise en œuvre.

Mots clefs : compétence, relation, construction, subjectivité, projection.

 

Summary

The Apprehension of Knowledge and Skills

Both those lacking knowledge and skills and those implementing their knowledge and skills can fear situations where new information and novel tasking are being introduced. Why is this competency to be feared? Inquiries directed in a roundabout way shed light on the different perceptions of this phenomenon. This exploration begins with a definition of what is perceived as knowledge and skills. In turn, it reveals the factors which instil fear or apprehension among novices. Knowledge and skills are indeed very complex, as they are difficult to grasp and attain. Ultimately, they are not to be feared, however, as their introduction should go hand in hand with a vision to implement or apply them properly keeping in mind the vision to improve certain situations.

Keywords: competency, knowledge, skills, relationships, construction, subjectivity, projection.

 

Introduction

À proximité d’un établissement public des fonctionnaires parlaient entre eux de l’incompétence, de l’absence de compétence, de certains de leurs collègues en des termes peu élogieux, pour ne pas dire incendiaires. Ces discussions écoutées en observation clandestine ont fait naître une curiosité accrue au sujet des compétences et plus spécifiquement sur le thème de la compétence. Les personnes présentes prenaient pour exemple des situations précises pour lesquelles l’individu décrié était jugé en fonction de son incapacité à réaliser certaines tâches lui incombant. Les juges n’attendaient pas que cette personne puisse tout réussir mais simplement qu’elle réalise ses obligations en fonction de la compétence qu’elle doit posséder au poste auquel elle se trouve. Cela signifie qu’une compétence générique était attendue. En outre, dans ces propos, était soulevé le fait que, si la compétence était possédée, il leur serait impossible de vivre comme ils le faisaient et cela serait quelque part dangereux pour eux.

            Ce constat nous mène à supposer que la compétence peut être effrayante. Cette hypothèse restreint considérablement le regard porté sur la compétence et nous impose de définir de manière fonctionnelle ce qui est considéré comme étant la compétence.

Elle est une faculté à mettre en synergie des capacités, habiletés, expertises, connaissances, aptitudes, des savoir-faire, des savoirs, des savoir-être dans la réalisation d’une tâche spécifique. Elle est soumise à une évaluation de la performance en ayant un caractère novateur. Elle n’est pas figée. Elle s’adapte aux exigences, se modèle au contact des extérieurs, répond aux attentes et aux obligations des systèmes auxquels elle est associée. Elle met son possesseur, son producteur ou son vecteur d’expression hors de la normalité, faisant de son porteur un enjeu de performances, de projections et de devenir pour son entrepreneur. Elle n’existe que si elle est reconnue, appropriée et inscrite dans une temporalité restreinte. Etant le résultat d’une stratification dynamique des savoirs, des acquis et de compétences spécifiques, elle est évolutive et dépendante du possesseur dans son adaptation permanente aux exigences auxquelles elle doit répondre afin d’exister. Elle est une fonctionnalité non possédée par ceux qui la recherchent et ils s’en séparent lorsqu’elle n’est plus suffisamment rentable pour le domaine de réalisation.

En quoi cette compétence, si polysémique et multidimensionnelle, peut-elle être effrayante pour ceux qui ne la possèdent pas ainsi que pour ceux qui ponctuellement la mettent en œuvre ?

S’attacher à cet aspect supposé effrayant de la compétence ainsi qu’à la compétence au singulier ne se situe pas dans les orientations des études entreprises jusqu’alors. Notre bibliographie, il est vrai restreinte, témoigne de la volonté de saisir la compétence dans sa diversité la plus large. Ces ouvrages proposent des aspects définitoires complémentaires, ils apportent, par association, de nouvelles facettes à la compétence et ouvrent des perspectives attrayantes pour la gestion des compétences. Les positions des auteurs, leurs orientations et leurs suggestions pour mettre en œuvre les compétences ou pour gérer une forme de compétence attestent de la complexité de ce phénomène. Des options de décorticage par savoir-faire et savoir-être, eux-mêmes subdivisés par spécificités en fonction du type d’approche, facilitent une hiérarchisation fonctionnelle des étapes de la construction de compétences pour le monde du travail ou de l’enseignement. Dans le cadre de l’étude entreprise, ces sources et les développements proposés sont des guides généraux aux entretiens effectués ainsi que pour la structuration de notre production, d’où cette présentation des plus succinctes.

L’imbrication de diverses phases d’évolution, d’attitudes, de comportements, de niveaux de formations et de capacités personnelles avec des mécanismes spécifiques de la construction individuelle en fonction de l’expérience, des relations, des obligations et des opportunités, donnent à la compétence une densité des plus complexes comme en témoignent l’ensemble des auteurs qui ont produit sur ce thème.

Parvenir à savoir si la compétence peut être effrayante impose que nous nous détachions de ces travaux par une démarche adaptative. Celle-ci nous permettra de saisir une image de ce que nos interlocuteurs pensent être la compétence. Nous pourrons mettre en évidence ce qui fait peur dans la compétence et le regard qui en résulte.

 

Une approche adaptative

Le fait initial, source de l’intérêt pour des formes de la compétence et surtout pour la perception qui en émane, est initié par l’opportunité des situations vécues et observées. Les possibilités de rencontre de personnes aux profils les plus divers, aux expériences professionnelles multiples, ainsi qu’aux implications sociétales plus ou moins marquées, nous donnent un terrain d’observation et d’analyse des plus riches. Il s’est imposé à notre démarche une obligation d’aller au contact de personnes se trouvant au chômage, d’ouvriers, d’artisans, de fonctionnaires de différentes catégories, de chefs d’entreprise et de responsables des ressources humaines ainsi que de sportifs ou d’agriculteurs. Dans le cadre de la présente étude nous avons rencontré dans le meilleur des cas trois personnes de chaque groupe. Nous sommes allés chercher une diversité sociale à même de nous offrir un regard suffisamment ouvert sur ce que la compétence peut représenter pour chaque personne en fonction de sa situation professionnelle, de son vécu et des expériences pratiquées. Les rencontres et les entretiens devaient se dérouler selon un processus identique avec les mêmes questions et attitudes dans les relations constituées et la saisie des informations. Cette attente d’objectivité nous a mené à construire un questionnaire adapté au thème que nous voulons aborder.

            Ce questionnaire ouvert, de seize questions, est constitué dans le but de saisir la diversité des perceptions et des expériences au sujet de la compétence pour chaque témoignage.

1/ Qu’est ce que la compétence ?

2/ Est-ce qu’elle peut faire peur aux responsables ?

3/ Quels risques engendre la compétence ?

4/ La compétence a-t-elle une place dans les structures normées ?

5/ Y a-t-il des difficultés à reconnaître, à admettre, une compétence ?

6/ La compétence est-elle suffisamment valorisée ?

7/ Y a-t-il une place pour la compétence dans une structure fondée sur la légitimité ?

8/ La compétence est-elle une source de légitimité ?

9/ La compétence est-elle un niveau, une capacité, une habileté, une connaissance, une qualification, une expertise ou autre chose ?

10/ Prendre la seule compétence pour référence, valeur et reconnaissance est-ce une bonne chose ?

11/ Vaut-il mieux des capacités validées par un cursus ou des compétences démontrées et reconnues ?

12/ Quelle place peut être donnée à la compétence exclusive ?

13/ Pourquoi la compétence ne peut-elle pas être totalement légitimée ?

14/ Existe-t-il une forme de jalousie, de défiance ou de négation vis-à-vis de la compétence ?

15/ La compétence n’est-elle qu’une aptitude pour une autorité reconnue ?

16/ La compétence est-elle effrayante ?

            La constitution et la proposition de ce questionnaire sous-tendent un positionnement spécifique. Nos travaux sur l’humanisme, nous mènent à écouter, entendre et observer nos interlocuteurs afin de nous approcher de leur humanité. Nous prêtons une attention soutenue aux phénomènes, aux dynamiques anthropiques ainsi qu’à la construction de l’interface humanité/espaces terrestres. Nous sommes fortement influencés par les travaux de M. Merleau-Ponty, E. Husserl, B. Glaser, A. Strauss et J. Corbin ou J. Peneff (voir bibliographie). Dans cette perspective notre objectivité d’analyse est porteuse d’une subjectivité non dissimulée. Celle-ci offre un accès à une partie qualitative d’une réalité perceptible. Ce positionnement contribue au dialogue, à l’échange et à l’ouverture des consciences des personnes rencontrées. En effet, notre pratique des questionnaires, des entretiens et des enquêtes, nous a incité à nous orienter dans cette direction en concordance avec nos orientations épistémologiques et éthiques (voir bibliographie).

            Ces précisions rendent plus accessible le choix, la construction et la méthode d’enquête employée. Le questionnaire ouvert, la discussion autour de celui-ci et l’extension en direction de témoignages par l’exemple permettent de croiser les réponses de chaque personne. Croisement mis en œuvre dans le questionnaire lui-même puisque certaines questions se superposent et offrent une lecture plus vaste que la seule réponse. Ce choix facilite le dépassement de l’évidence et incite l’interviewé à une réflexion fouillée de ses expériences, des situations dans lesquelles il a partagé la compétence avec son détenteur et contribue à aller au-delà des compétences si proches des capacités ou autres habiletés.

            Ce dialogue avec chaque témoignant participe à la lecture d’une perception de la compétence dans ce qu’elle représente, implique et engendre pour chacun. Notre choix s’est alors porté sur le jugement global, puisque notre objectif est de savoir si la compétence est effrayante. Cette orientation explique sans détour la question 14 et le final avec la question 16. En effet, après avoir testé ce questionnaire sur une personne proche, nous nous sommes rendu compte que les réponses étaient ambivalentes et qu’il fallait parvenir à ce que chaque témoignant puisse exprimer sa perception de la compétence sans pour cela reconnaître qu’elle était source d’effroi. Ainsi, en retranscrivant les propos de chaque personne, des aspects de ce que représente la compétence devenaient plus lisibles sans pouvoir les quantifier.

            La diversité des vécus, des profils et des analyses de ce phénomène nous mène à une image aux dimensions variables, pour laquelle une lecture linéaire n’est pas envisageable. Un chef d’entreprise, un artisan, un fonctionnaire ou un étudiant n’ont pas la même lecture de la compétence. Aucun n’a la même conception de ce qu’elle est pour autrui et de ce qu’elle est pour soi-même. Les vingt témoignages sont autant de perspectives qui nous indiquent une extériorisation et une intériorisation de la compétence en fonction de niveaux, de mises en œuvre et d’implications dans le travail ou la vie courante.

 

Une image de la compétence

Cette richesse et cette diversité sont les constituants de la compétence tant pour l’image perçue que pour la proposition de l’image exprimée par les témoignages. Le questionnaire nous a permis d’accéder à une image de la compétence articulée sur sa mise en œuvre, l’état d’esprit dans lequel elle est déployée, les obligations liées à sa nature, les éléments de sa constitution et ce qu’elle engendre.

Nous ne retenons qu’un seul aspect quantitatif de ce questionnaire pour les questions 14 et 16. Il nous mène à percevoir un sentiment de crainte vis-à-vis de la compétence. À la question 14, 90% des personnes interrogées ont répondu que la compétence était source de jalousie, de défiance ou de négation sous multiples formes. Pour les 10% restants on ne peut pas parler de regard envieux, la compétence est une composante du travail. À la question 16, presque tous les interviewés ont défini la compétence comme étant une source de crainte. Elle n’est pas effrayante mais elle fait peur ou elle crée une distance de sécurité. 30% des personnes rencontrées reconnaissent sans difficulté que la compétence peut être effrayante. Pour 30%, elle est effrayante en fonction du niveau d’observation et de l’implication des acteurs dans sa mise en œuvre. Ensuite, 30% admettent une certaine distance, une forme de dangerosité de la compétence selon leur attitude vis-à-vis de cette dernière en fonction de leur position hiérarchique ou de leur statut. Enfin, 10% déclarent que la compétence n’est absolument pas effrayante. Ce sont ces types de disparités qui nous permettent d’articuler les regroupements qui suivent.

            La mise en œuvre de la compétence est le premier aspect de la perception d’une image de la compétence. Cette image naît en fonction d’un contexte, d’une situation particulière qui favorise l’émergence, la reconnaissance d’une faculté spécifique pour un acteur. Ce contexte de mise en œuvre est indissociable de valeurs de références fondées sur les potentialités, les qualifications, l’habileté, les connaissances, l’aptitude ou l’expérience de la personne qui détient la compétence. C’est-à-dire qu’il y a une différenciation des composants du travail accompli, en fonction d’une moindre contrainte pour la gestion et la mise en relation des intervenants, liée à une rupture/continuité dans la réalisation de la tâche de référence, dépendante du phénomène de réentrée qui contribue à la projection d’une œuvre en fonction de ce que l’on construit. Ces différents concepts de mise en œuvre de la compétence, au regard des témoignages, proviennent d’une forme de médiance entre les actions. Cette médiance va au-delà de la moindre contrainte, elle est une forme de dialogique, non de dialectique, entre les éléments afin que ceux-ci s’imbriquent dans les meilleures conditions. Cette structure de relations construites, induites et orientées est transdisciplinaire. La compétence n’étant pas qu’une habileté, ou une simple capacité à communiquer voire à donner des ordres, elle implique que des connaissances dans plusieurs domaines soient connectées pour créer l’interface d’exercice et exposer cette faculté. Toutefois, ce mécanisme ne serait pas fonctionnel sans un point origine et une destination à atteindre, dépendante d’une mise en synergie des différents composants en fonction des dimensions d’implication de chaque constituant, pour une projection physique et virtuelle de l’œuvre en cours de réalisation. La compétence est l’œuvre d’un travail permanent, plus ou moins simplifié par l’acquis et l’inné de son artisan.

Un état d’esprit est nécessaire à la perception d’une compétence. En tout premier lieu, pour l’ensemble des personnes interviewées, la confiance en soi et envers les autres est le premier pas en direction d’une compétence. Une confiance communicante que le détenteur de la compétence fait partager à ses collaborateurs et partenaires. La confiance a été citée par la totalité de nos interlocuteurs, elle est indissociable de l’action en cours de réalisation. Néanmoins, elle ne doit pas être aveugle car trop de confiance tue la confiance. Toutefois, sans celle-ci l’esprit de conquête et d’affirmation ne serait pas présent pour le détenteur de la compétence. En effet, il faut vouloir, même inconsciemment, parvenir à une réalisation afin d’exposer ces capacités. Cela impose l’idée de compétitivité, d’émulation, entre les membres d’un groupe, ainsi qu’une volonté de concourir pour une certaine efficience. Ceci est fermement lié à un engagement pour la fonction à remplir ou le travail à accomplir. L’engagement est à la fois physique, par la signature d’un contrat, et moral par le devoir de réalisation de la mission dans des conditions optimales. La production d’une compétence s’appuie sur la volonté de s’intégrer dans une structure relationnelle pour laquelle la coopération, le partage et l’ouverture sont les piliers de son élaboration. Le détenteur de la compétence ne peut pas la mettre en œuvre sans les personnes qui vont reconnaître son existence et qui vont lui donner corps. Il y a alors une acceptation des responsabilités induites.

La compétence implique des obligations par sa nature. L’objectif à réaliser est le référent ultime sur lequel les attentions se portent. C’est-à-dire que l’objectif doit être défini avant toute chose afin que chacun puisse évaluer l’action entreprise et ses étapes d’élaboration pour exprimer une compétence. L’objectif rendu lisible pour tout observateur, chacun est en mesure d’évaluer la difficulté de sa réalisation ainsi que les potentialités de celui qui va répondre à ses exigences. Ce but à atteindre implique une coopération ouverte et fermée. C’est-à-dire interne et exclusive au cercle de travail ainsi que proche des cercles d’influence qui gravitent à son contact. Cette proximité relationnelle induit la réactivité du détenteur de la compétence pour répondre aux situations rencontrées, d’où une certaine fonctionnalité dans la gestion des réponses et des orientations prises. Cela fait que la compétence instaure une dynamique entre savoir, savoir faire et savoir être. Il en découle une maîtrise démontrée pour l’auteur de sa construction et attestée par les observateurs ou les subordonnés. Cependant, ces obligations initiales ne seraient que de peu d’utilité, sans, au cœur de ce que représente la compétence, un processus qui lie technicité, adaptabilité et nature évolutive de la compétence en vue de maximiser les perspectives de l’œuvre entreprise. Une idée d’une nature hors de la normalité émerge. La mise en synergie de l’ensemble des obligations de la nature de la compétence pose cette faculté hors de la norme et du commun.

La compétence nécessite des éléments spécifiques pour sa constitution. La recherche de la performance, que ce soit par le résultat ou par la réalisation, est le point de regroupement de l’ensemble de ces éléments. Sans cette idée de performance, de la production d’une action que nul autre ne peut effectuer, il ne peut pas y avoir de compétence reconnue, aux dires de nos témoins. Cette performance, qui contribue à la constitution de la compétence, repose sur l’appropriation, au minimum virtuelle, de l’outil support de sa production. Cette appropriation est déjà visible dans les obligations (maîtrise et maximisation de l’action). Elle personnalise l’action et le domaine d’exercice. Les observateurs ont des difficultés à dissocier les faits de leur auteur. Toutefois, pour parvenir à ce niveau, le titulaire de la compétence en devenir, doit s’évaluer pour répondre aux réalités. Son action est conceptualisée. L’instinct ne suffit pas à la constitution d’une compétence. La réflexion, la maturation et la projection constituent la conceptualisation. Une action intérieure et extérieure à la tâche entreprise est alors perceptible en fonction des acteurs, des implications et des niveaux d’observation ou d’évaluation. Cette action rend visible l’acte en cours de réalisation. Ceci induit une pratique réflexive de la diffusion et de l’exposition de la production. Le détenteur de la compétence agit de manière à ce que ce qu’il entreprend soit reconnu par comparaison à ce qui l’a précédé en fonction de sa capacité à démontrer ses facultés de réponse aux exigences d’un système.

L’image perçue de la compétence engendre des inductions pour l’initiateur de celle-ci et pour les observateurs. Une performance est attendue par l’entourage et par les évaluateurs. Elle est l’étincelle qui engendre des luttes pour celui/celle qui sera le plus performant. Il y a une attente du résultat, du déroulement et de sa réception par tous ceux qui sont dépendants de l’action entreprise. Cette attente engendre, parfois, une forme d’idéalisation de la compétence en cours d’exercice. Cela signifie que le jugement est indissociable de la compétence, puisqu’elle n’existe que parce qu’autrui l’a constatée en fonction du contexte, du résultat et de sa mise en œuvre. Le constat, par niveau de production, suggère la reconnaissance par niveau de réalisation, qui s’étend du particulier jusqu’au général, en fonction du rayonnement, du réseau de diffusion et des facultés de communication de l’auteur. C’est-à-dire qu’il y a une forme de publicité de la faculté exposée aux yeux de tous, par l’image produite. Il lui faut, pour rayonner dans les meilleures conditions, une confiance non dissimulée dans le partage et la gestion des actions entreprises, ce qui laisse entrevoir un pragmatisme fonctionnel à même de produire une mise en question perpétuelle quant à la capacité à répondre aux faits et aux attentes. Ainsi la compétence engendre un partenariat, par réentrée, entre les acteurs.

            L’image de la compétence, construite en fonction des témoignages recueillis, atteste d’une grande diversité d’orientations, d’attentes, de facultés ou de mécanismes internes spécifiques à sa constitution. Sa mise en ouvre, en fonction d’un état d’esprit, articulée sur des obligations liées à sa nature, dépend d’éléments de construction qui engendrent une image pouvant être la source d’une crainte voire d’une peur.

 

Ce qui fait peur

Les résultats des regroupements présentés ci-dessus attestent que la compétence engendre au minimum une crainte et, au pire, elle est effrayante pour ceux qui la côtoient et qui partagent leur activité professionnelle avec des détenteurs d’une compétence qu’ils ne possèdent pas. Cette peur, cette forme d’effroi ou cette crainte se fonde sur le comportement du détenteur, les actions entreprises, la gestion interne et externe de la compétence, sa réception à différents niveaux et la perception de ce qu’elle semble être.

            Le comportement du détenteur de la compétence reconnue est une source d’appréhension pour les observateurs. Cette expression de la perception d’une attitude reflète les témoignages pour lesquels la compétence peut être une source de crainte ou de peur. Ce qui inquiète les interviewés s’articule sur le narcissisme, l’ego et le fait que trop souvent la personne compétente peut être imbue de sa personne. Elle se pose comme indispensable, sans « moi » rien n’est possible. Elle est incontournable pour toute activité. Cette mentalité de domination fonctionne comme un repoussoir à l’égard de la personne compétente puisqu’elle écrase les autres. A ces aspects obvies est sous-tendue une forme de dépendance à la référence. Cela signifie que, pour entreprendre, il va falloir se soumettre à l’indispensable du lieu de travail. Cette attente de soumission, lisible dans les comportements décrits, révèle une mentalité aux antipodes de l’humilité, ce qui entache la compétence. Dans cette perspective qui mène dans ses excès à l’effroi, le jugement permanent du compétent sur les actes des autres est tout aussi lourd de conséquences. Cette action de juger met en évidence une volonté de lutte, ou d’affrontement, pour dépasser l’autre et, à n’importe quel prix, préserver sa compétence. Le comportement, les relations et les perceptions qui en émanent sont pour nos interlocuteurs un facteur non dissimulé d’une certaine appréhension de la compétence. Toutefois, 90% des témoignages admettent qu’il est nécessaire d’avoir un comportement ferme et déterminé pour mettre en œuvre une compétence.

Les actions entreprises pour affirmer, attester ou démontrer une compétence sont source de crainte pour les personnes qui ne possèdent pas les facultés de réalisation. Ces actions ne sont, le plus souvent, que des activités indissociables de la tâche à accomplir mais le fait qu’elles soient réalisées avec aisance, avec une certaine compétence, crée ce sentiment décrit par nos interlocuteurs. Les descriptions de ces actions portent sur la destination de l’action. Il est vrai que ces témoignages sont empreints de subjectivité dans la définition que chacun donne de ses expériences. Toutefois, de nombreux aspects démontrent des facettes à même de produire un sentiment de peur. L’idée d’évaluation permanente par comparaison des acteurs est largement dominante. Etre continuellement sous la surveillance d’une personne reconnue compétente est défini comme étant un boulet. En effet, l’évaluation et la surveillance qui en découle instituent une domination parfois écrasante pour ceux qui vivent la compétence d’autrui. Celle-ci instaure un contrôle parfois des plus discrets sur toutes les activités connexes propre à une forme d’oppression. En outre, les orientations des actions ainsi que leurs destinations sont souvent entachées dans leur gestion d’un esprit de conquête qui foule aux pieds les participants pour la seule servitude attribuée à l’acteur principal. Par ailleurs, dans cette situation, est perceptible une forme de méchanceté sournoise et très discrète qui s’insinue dans les actes. Ceci provient, aux dires de nos participants, d’une volonté de préservation de sa place, de dissimulation des techniques et de jalousie quant aux capacités des autres à remplir eux-mêmes la mission en cours. Cet ensemble, qui expose une partie de la face cachée d’une action, est complété par la partialité dont peut faire preuve le détenteur de la compétence afin de demeurer le centre d’intérêt. Dans ce cadre, les actions entreprises sont le reflet du comportement du détenteur qui s’efforce de gérer ses potentialités.

La gestion de la compétence, qu’elle soit interne au détenteur ou externe à celui-ci, contribue à une certaine distanciation. Etre capable de gérer sa compétence, en n’abusant pas de sa flamboyance ou d’un sentiment de supériorité, s’avère des plus ambivalents pour les personnes qui perçoivent cette facette de la compétence comme une source de crainte. Au niveau interne, propre à l’individu titulaire de la compétence, la manière dont il gère l’intégration de ses performances dans sa personnalité au contact de son entourage est une inquiétude pour plus de la moitié de nos interviewés. Son rayonnement induit et la diffusion de sa maîtrise font que la peur d’être enterré sous un flot de compétences est bien présente et effrayante dans le monde où la précarité de l’emploi est une normalité. Cette exposition plus ou moins ostentatoire va constituer les conditions de la réception ou de la captation des informations de cette compétence avec une crainte non voilée du risque de dissimulation de connaissances et de négation des autres intervenants. Ainsi, la gestion de la mise en œuvre de la compétence intensifie les hiérarchies, augmente les déséquilibres entre les acteurs en relation et conduit à des dépendances pour les subordonnés à la compétence. S’ensuit une forme de dénigrement pour ceux qui n’appartiennent pas au cercle dominant, la préservation de clientèles et la pratique de la cooptation liée à l’appartenance.

Une certaine peur se discerne dans la réception de la compétence aux différents niveaux auxquels elle s’exerce. Cette perception est due à la fonction, à la place hiérarchique ou au lien de subordination existant entre le détenteur de la compétence et celui/celle qui travaille avec lui. Si nous devions retenir un seul terme, ce serait : infaillible. Devoir ou être dans l’obligation de travailler avec un infaillible est une horreur pour près des trois quart des témoignages. L’infaillible ne se soucie pas du partage, ce qui fait que les proches ne peuvent pas bénéficier de la compétence employée. Cela provoque de nombreuses contraintes de réception des directives et des réalisations puisque les destinataires ne sont pas en mesure de s’approprier les constructions. Lorsque la déconnexion de la réalité devient criante, la survalorisation individuelle et celle faite par les observateurs deviennent une raison d’inquiétude, car les limites d’exercice tendent à disparaitre. L’aveuglement du détenteur dans ses attitudes et celles des destinataires dans leur mode de réception font que des doutes naissent, en fonction des obligations auxquelles chaque niveau doit répondre. A cela s’ajoute les facultés de réception en fonction des réseaux, des cursus et des règles non écrites propres à chaque domaine de la compétence observée.

Le dernier aspect, source d’une certaine peur, est la perception de ce qu’elle semble être pour ceux qui ne la possèdent pas. Ce phénomène, qu’est la compétence, pose des difficultés pour nombre de nos interlocuteurs. Ne possédant pas cette qualité, ou n’ayant pas conscience qu’eux aussi sont détenteurs d’une forme de compétence, ils positionnent ce qu’ils n’ont pas hors de la normalité, le plus souvent par la négative. L’inégalité devant la compétence tient une place conséquente dans les récits de nos interlocuteurs. L’existence d’une inégalité dépendante de l’inné, au même titre que les capacités physiques hors norme de certains athlètes, engendre une profonde animosité pour près de 15% des personnes interrogées. Par extension l’équité est fréquemment citée. En effet, comment être équitable devant des personnes qui ne possèdent pas ce que de rares individus ont ? L’absence possible d’équité expose des craintes à propos de la justice ou de la juste rémunération, sources de tensions. La compétence est aussi réceptionnée, prise ou observée comme étant inaccessible, le fruit d’une perfection ou une forme de graal. Ce qui fait qu’elle est dépendante des potentialités de sa mise en œuvre, de sa destination, de son adaptation et de sa nature ponctuelle. Ce miroir déformant, d’un stéréotype de la performance permanente  et de la projection de nos espoirs, suscite un certain effroi pour près de 20% des témoignages sans pour cela rejeter la compétence et son détenteur.

            Le comportement du détenteur d’une forme de compétence, les actions entreprises en fonction de cette faculté exposée, sa gestion interne et externe, la réception qui en est faite à divers niveaux de gestion, ainsi que la perception de ce qu’elle semble être, sont autant de vecteurs d’un sentiment de crainte ou de peur à l’encontre de la compétence. Ce sentiment exprimé résulte d’un regard propre aux observateurs.

 

Conclusion

Le regard que l’on suggère est lié à la position de l’observateur, à ce qu’il veut voir et percevoir, aux implications de la présence d’une compétence dans un lieu d’exercice ainsi qu’à la distanciation dans la réalisation ou l’exposition d’une compétence. Cet ensemble nous mène à constater que la compétence n’est pas si effrayante que cela.

Sa perception, sa gestion et les situations qui naissent à son contact dépendent des acteurs qui la portent et de ceux qui la reconnaissent. Il ne peut pas y avoir de compétence sans qu’autrui déclare qu’il existe une compétence. Se déclarer unilatéralement compétent ne peut pas suffire à l’expression d’une compétence. L’image de ce qu’est la compétence, pour les observateurs et les potentielles sources de crainte à son encontre font que le regard porté, sur cette faculté à mettre en synergie des capacités, habiletés, expertises, qualifications et connaissances dans la réalisation d’une tâche spécifique, révèle la nature humaine et la complexité de celle-ci.

La compétence est effrayante pour ceux qui la subissent dans ses excès et ses limites. Elle est source de crainte dans le cas où elle implique des contraintes ou des liens non souhaités. Elle crée une distance quand elle s’impose sans retenue. En revanche, la compétence est vécue, partagée, soutenue et diffusée lorsque les détenteurs agissent avec discernement, humilité, équité et pragmatisme en relation avec ceux qui travaillent et vivent avec cette faculté qu’ils ne possèdent pas, mais qu’ils partagent par transfert.

Toutefois, sa nature spécifique, ponctuelle et fonctionnelle rappelle à tout un chacun qu’il est impossible d’être compétent dans tout. Que ce n’est pas parce que l’on sort d’ici ou de là, ou que l’on appartient à tel cursus, que l’on est compétent pour dépasser la restitution normative des modèles, qui ont fait qu’à un instant une compétence a été reconnue et validée.

Nos interlocuteurs, par leurs témoignages, nous ont rappelé que rien n’est éternel et que nous existons socialement que par rapport à autrui, lequel nous reconnaît. Les sociétés individualistes, les structures normées, les clientèles et autres appartenances font que la compétence est trop souvent noyée dans des règles, des normes et des silences qui font que seuls ceux qui satisfont sont reconnus compétents. Ces orientations font la négation de la différence, de la diversité et de l’humanité, alors que la compétence, qu’il ne faut pas confondre avec les compétences, ne peut s’acquérir que par l’existence d’une synergie entre tous les constituants de son exposition.

Lorsque les systèmes musellent la compétence, elle ne peut pas être effrayante. Elle n’engendre que crainte de la différence. La compétence est un moteur de l’évolution de notre humanité. Elle nécessite le soutien de ceux qui l’évaluent afin de faire naître des perspectives insoupçonnées même si ces derniers craignent inconsciemment d’être bousculés par une forme de compétence.

 

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Remerciements

Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes qui a accepté de participer à cette étude pour leurs témoignages et plus spécifiquement Marc Lavoie, professeur à l’Université Sainte Anne, Nouvelle-Ecosse, pour ses aimables observations.

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